PORTRAIT ET POUVOIR AUX XVIIe ET XVIIIe SIECLES

HISTOIRE DES ARTS

 

11. Vigée Lebrun, La reine Marie-Antoinette de France, 178

 

I. PORTRAIT ET FIGURE

 


 

a. Portrait

Qu'est-ce qu'un portrait?

Selon le Petit Larousse : image donnée d'une personne par la peinture, le dessin, la sculpture ou la photographie.

Il faudrait peut-être ajouter que,dans son sens traditionnel, cette image devait présenter une certaine ressemblance avec l'aspect réel de cette personne.

 

b. La figure

Une figure peut être une représentation...

- d'un personnage historique ou religieux (personnage biblique, saint, héros...) disparu depuis longtemps

Philippe de Champaigne, Moïse et les Tables de la Loi, 1650

- d'un personnage mythologique ou d'une allégorie

Gaetano Gondolfi, La Justice, XVIIIe siècle

la personnification d'un métier, d'une corporation ou d'une classe sociale (servante, mendiant, paysan)

Jean-Siméon Chardin, La pourvoyeuse, 1738

 

La figure ne représente pas le modèle dont l'artiste s'est servi. Le portrait, au contraire renvoie à son modèle auquel il cherche à être fidèle.

 

 

II. LE PORTRAIT EN OCCIDENT

 


 

Si le portrait, fidèle à son modèle, fut pratiqué longtemps dans l'antiquité grecque et latine, le genre a disparu presque totalement avec l'avènement du christianisme.

Buste de Jules césar(100-44 av. JC), marbre sculpté

Le Moyen-âge, peu préoccupé de réalisme semble l'avoir ignoré complètement.

Représentation de Saint Louis, roi de France, manuscrit du Moyen-âge

Avec la Renaissance, à partir des XIIIe et XIVe siècles, l'individu retrouve une place centrale dans la pensée occidentale. Le portrait reparaît.

Piero Della Francesca, Portrait de Federico di Montefeltro, Duc d'Urbain, 1465

Progressivement les artistes vont chercher à être de plus en plus fidèles à leurs modèles.

 

 

III. ORIGINE ET FONCTION DU PORTRAIT PEINT

 


 

a. Quelles raisons peut-on avoir de vouloir se faire portraiturer ou de faire un portrait

- transmettre son image aux générations futures

- échapper d'une certaine manière à la mort et à l'oubli

- témoigner de l'apparence d'un individu à un moment donné

 

b. Quels rôles joue le portrait?

- affirmer la position sociale (tout le monde n'a pas les moyens de le faire)

- servir d'outil de propagande (les souverains faisaient envoyer leurs portraits dans les provinces du Royaume afin d'affirmer leur omniprésence)

- compenser une absence (lors de fiançailles de hauts personnages, les futurs époux faisaient souvent connaissance par l'intermédiaire d'un portrait)

- garder la mémoire de quelqu'un (par exemple d'un membre défunt de la famille)

 

 

IV. DES PORTRAITS DE POUVOIR

 


 

Aux XVIIe siècle, il existe une hiérarchie des « genres » en peinture allant du plus prestigieux au moindre. André Félibien, architecte français, va fixer cette hiérarchie en 1667 :

1. La peinture allégorique (La Justice...)

2. La peinture d'Histoire (Serment des Horaces)

3. Le portrait

4. La scène de genre

5. Le paysage

6. Les Marines

7. La peinture animalière

8. La nature morte

 

Un exemple de peinture d'histoire :

Jacques-Louis David, Le serment des Horaces, 1748

Tite Live (59 av. JC – 17 ap. JC) rapporte la légende suivante : au cours du Ve siècle av. JC, un conflit oppose les villes de Rome et d'Albe pour le contrôle de la Ligue Latine. On décide de régler ce différent par un combat. Les trois frères Horaces combattant pour la ville de Rome sont ainsi opposés au frères Curiaces de la ville d'Albe. Deux des romains furent tués mais le troisième parvint, seul, à vaincre ses ennemis et Rome remporta la victoire.

 

Le portrait au XVIIe siècle, en tant qu'il peut servir lui aussi l'Histoire, va bénéficier d'un prestige grandissant.

Aux XVIIe et XVIIIe siècle, le portrait a pour raison d'être essentielle le pouvoir. Il exalte chez la personne la possession ou la pratique de ce pouvoir.

 

V. LE PORTRAIT PEINT

 


 

a.Typologie du portrait

La typologie est l'énumération des différents types que l'on peut trouver dans un genre.

Tout d'abord, il faut distinguer deux types de portraits :

- le portrait de commande (c'est l'acquéreur qui commande au peintre un portrait et le plus souvent lui impose des contraintes)

- le portrait réalisé à l'initiative du peintre (plus libre)

 

Parmi les portraits de commande, deux types sont encore à différentier :

- le portrait officiel ou portrait d'apparat

- le portrait souvenir personnel (celui qu'on accroche chez soi)

 

Dans le portrait de commande, l'artiste se plie aux souhaits du commanditaire. Cependant il peut agir sur :

- la composition

- le cadrage

- le point de vue

- la palette de couleurs

- le rapport fond/modèle

 

La forme du portrait est liée au cadrage et à la position du modèle. On distingue 11 types de portraits :

1. portrait en pied

2. portrait à mi-corps

3. portrait en buste

4. tête seule

5. portrait de profil

6. portrait de face

7. portrait de trois quarts

8. portrait debout

9. portrait assis

10. portrait allongé

11. portrait équestre (à cheval)

 

b. Le portrait d'apparat

Il connaît son plein essor au XVIIe siècle sous le règne de Louis XIV et se caractérise pas la théâtralité du décor et de la pose et par l'absence de toute spontanéité.

La somptuosité du décor et des accessoires expriment le rang social.

 

Le fond :

- éléments d'architecture à l'antique qui évoquent souvent l'intérieur d'un palais

- immenses tentures de velours drapé formant un dais (sorte de tente)

- en extérieur : terrasse adossée à un parc

- pour un prince chef d'armée, un champ de bataille

 

Les accessoires :

Généralement nombreux et dispersés donnant un effet de luxe. Ils ont le plus souvent un sens symbolique. Il s'agit souvent des attributs du personnage :

- coiffure, costume et bijoux, révélateurs du rang social

- instrument propre à une profession (plume et encrier pour le négociant ; équerre pour un ingénieur ; instrument pour un musicien, etc.)

- mobilier précieux, ornés et confortables

 

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV en tenue de sacre, 1701

Louis XIV avait tout compris du fonctionnement et du rôle de l'image dans l'exercice du pouvoir. Ses portraits sont de véritables mise-en-scène de son personnage qui en font une sorte d'être divin.

Dans le portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud, le roi arbore les « regalia », c'est à dire les objets symboliques de la royauté :

- le roi est revêtu d'un manteau de velours bleu profond semé de fleurs de lys d'or et doublé d'hermine

- il s'appuie sur le sceptre d'or et porte une épée incrustée de pierreries à la ceinture

- le grand collier de l'Ordre du Saint-Esprit sur la poitrine (Ordre le plus prestigieux de la chevalerie française)

- la main de justice et la couronne reposent sur un coussin bleu fleurdelisé

- le rideau pourpre en drapé, symbole du pouvoir royal

- des effets de textures de matières luxueuses

 

Format et composition :

Le portrait en pied ajoute à la majesté et la puissance du personnage ainsi que les dimensions généreuses du tableau (277 X 194 cm)

Le personnage est au centre de la composition.

Le point de vue est en légère contre-plongée (on distingue un degré au pied du roi : le peintre se tient donc un peu en dessous de son modèle) qui renforce l'impression de puissance et d'autorité.

La position de trois-quarts suggère un effet de rotation qui donne à la pose dynamisme et vivacité.

 

 

VI. LES DIFFERENTS COURANTS DU PORTRAITS AU XVIIe SIECLE

 


 

Au cours du XVIIe siècle, de nombreux portraitistes font de prestigieuses carrières en France. On distingue essentiellement deux courants dans l'art du portrait :

 

a. Le portrait réaliste :

- les frères Lenain

- Philippe de Champaigne

- Charles Lebrun

- Simon Vouet

- Robert Nanteuil

Ces peintres recherchent plutôt la vérité psychologique de leur modèle. On trouve dans leurs oeuvres des décors plus sobres et moins d'ostentation dans les accessoires.

 

Jean-Siméon Chardin, Portrait de Vincent Voiture(poète et prosateur français)

 

b. Le portrait de cour :

- Pierre Mignard

- Hyacinthe Rigaud

- François de Troy

-  Nicolas Largillière

Ceux-ci s'attachent à donner une image flatteuse de leur commanditaire. Ils usent et abusent des drapés, des coiffures extraordinaires et des guirlandes de fleurs.

François de TROY, Portrait d’Anne Louise-Bénédicte de Bourbon-Condé, duchesse du Maine,1694

 

VII. EVOLUTION DU PORTRAIT AU XVIIIe SIECLE

 


 

a. Au début du siècle

Au début du XVIIIe, les peintres du siècle précédent poursuivent encore leurs carrières. Mais le goût et les tendances changent. Les aristocrates deviennent plus légers, élégants, fantaisistes et sensuels. Le portrait se fait l'écho d'une telle évolution.

On pratique souvent le portrait allégorique :

Jean Nattier, Henriette de France en Diane, 1742

La fille du roi Louis XV est identifiée dans ce portrait à la déesse de la chasse.L'expression est douce, un peu mélancolique, mais pleine de charme et de vivacité. Elle apparaît sur un décor automnal : feuilles de vignes et ciel chargé. Le drapé simple mais élégant laisse voir les formes de son corps. Une peau d'animale lui ceint négligemment le buste et ajoute à l'aspect bucolique du décor. Il y a quelque chose d'artificiellement champêtre dans la composition. La blancheur des tissus, le soyeux des draperies, la coiffure impeccable, la blancheur de la peau, la pose faussement négligée et le geste précieux de la main qui tient l'arc, soulignent tout de même la haute naissance du modèle et son raffinement.

 

b. Seconde moitié du siècle : la recherche de la vérité psychologique

Le portrait va évoluer de plus en plus vers la recherche de la vérité psychologique du modèle :

- choix de fond neutre qui allège la composition, recentre le tableau sur le personnage et donne une impression de plus grande intimité

- attitude moins hiératique (hiératique = conformiste, établi, fixe, imposé...) au profit d'une expression plus authentique

- format plus petit qui ajoute à l'impression d'intimité

- apparition du format ovale qui souligne la douceur et l'harmonie d'un portrait

 

François Boucher, La Marquise de Pompadour, 1758

Madame de Pompadour (1721 – 1764), née Jeanne-Antoinette Poisson, est une dame de la bourgeoisie française devenue favorite du roi Louis XV. Elle est représentée ici dans l'intimité d'une situation quotidienne : on la voit, face à son miroir qui s'apprête à maquiller son visage. Sa tenue, bien qu'élégante et précieuse n'est pas une tenue d'apparat mais plutôt une tenue de chambre. Le fond est sombre mettant en valeur son visage et l'ovale du format vient ajouter de la douceur à son expression. On peut parler d'une sorte de simplicité sophistiquée.

 

L'analyse psychologique est encore plus aboutie chez les pastellistes (peintres qui utilisent la craie, grasse ou sèche, communément appelée pastel) :

Jean-Baptiste Perronneau, Portrait de Madame de Sorquainville

Maurice Quentin de La Tour, Portrait de Jean-Jacques Rousseau

 

Il croient que je ne saisis que les traits de leur visage, mais je descends au fond d'eux-même

                                                    Maurice Quentin de La Tour

 

Dans cette seconde moitié du XVIIIe siècle, le portrait historié ou mythologique tombe en désuétude ainsi que les représentations symboliques.

 

Deux artistes vont particulièrement marqués cette période :

- Jean Siméon Chardin

- Jean Baptiste Greuze

Tous deux inventent le portrait de genre où le modèle semble saisi dans une activité quotidienne.

 

Jean-Baptiste Greuze, Portrait de Claude-Henri Watalet, 1763

Artiste et homme de lettre, Watalet est représenté à sa table de travail, la main posée sur un livre ouvert, l'autre pointant d'une plume son coeur et le regard songeur, en pleine activité intellectuelle. A la différence du portrait de Madame de Pompadour réalisé par Perronneau et où le modèle était aussi saisi dans son quotidien, Watalet ne regarde plus dans la direction du spectateur comme s'il ignorait qu'on l'observe.

 

Jean Siméon Chardin, Le château de cartes (dit Le fils de M. Le Noir)1735

Ici, de manière encore plus évidente, le modèle – l'enfant du commanditaire – est saisi en plein jeu. Autant le portrait de Watalet par Greuze gardait quelque chose de posé et d'artificiel, autant chez Chardin domine le sentiment de spontanéité et d'authenticité.

 

c. Des idées nouvelles qui influence l'art du portrait

Cette époque est marquée par la figure d'un philosophe emblématique du XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau, dont les idées vont favoriser le « courant sentimental ». Les portraits de famille de Elisabeth Vigée Lebrun sont empreints de douceur, de sentimentalité et de féminité.

 

► Elisabeth Vigée Lebrun, Portrait de La reine avec ses enfants, 1789

La reine Marie-Antoinette est représentée comme une mère affectueuse. Le portrait a été peint à la veille de la Révolution. On peut probablement lire une certaine gravité sur le visage de la souveraine.

 

► Elisabeth Vigée Lebrun, Portrait de la reine Marie-Antoinette de France, 1783

La reine est représentée dans un décor champêtre, le soir, sous un ciel sombre et chargé, cueillant une rose, symbole de beauté, de fraîcheur et de simplicité. Sa tenue est élégante mais relativement simple pour l'époque. Les couleurs sont vives, mais douces cependant avec une dominante de bleu et de rose.

 

 


 

 

QUESTIONS

1. Pourquoi le portrait, qui était un genre considéré comme inférieur à la peinture d'histoire, va-t-il au XVIIe siècle acquérir un prestige qu'il n'avait pas auparavant?

 

2. Dans le portrait de Louis XIV peint par Hyacinthe Rigaud, quel rôle joue la mise en scène? Dites en quoi consiste cette mise en scène.

 

3. Dans le portrait d'apparat, quels rôles jouent les accessoires et les éléments qui constituent le décor?

 

4. Comparez les deux portraits suivants : 

François de TROY, Portrait d’Anne Louise-Bénédicte de Bourbon-Condé, duchesse du Maine,1694 

Jean-Siméon Chardin, Portrait de Vincent Voiture

A quels courants picturaux différents appartiennent ces deux oeuvres? Citez les caractéristiques de ces deux courants que vous repérez dans ces deux tableaux.

 

5. Au début du XVIIIe siècle la pratique du portrait change. En quoi consiste ce changement et quels en sont les raisons?

 

6. Le philosophe Jean-Jacques Rousseau apporte à son époque des idées nouvelles. Quelles sont ces idées? En quoi en trouve-t-on un écho dans les portraits du peintre Elysabeth Vigée-Lebrun?

 

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